Bonjour à toustes,
J’annonçais que Juillet et Aout seraient deux mois consacrés à la sortie des archives notamment parce que je suis en plein déménagement/aménagement. Voici la 1er infolettre après celle de présentation.
La relire fait un drôle d’effet surtout dans le contexte actuel de la mort du jeune Nahel, des critiques dont la mère de Nahel a fait l’objet sur sa façon d’exprimer son ressenti. L’appel à la responsabilité des parents par le gouvernement en réponse aux événements de révolte qui ont découlé de cette situation sont problématiques à bien des égards. Cependant, le texte ci-dessous n’a pas été modifié bien que depuis j’ai lu l’excellent livre d’Hanane Karimi Les Femmes musulmanes ne sont-elles pas femmes ?
Par ailleurs, je proposais d’écouter l’épisode 46 de La Poudre entre Lauren Bastide et Delphine Horvilleur, de regarder une vidéo de Hanane Karimi sur Universalisme et Transmission ou encore la lecture de Musulmanes Engagées : expériences, assignations, mobilisations.
Belle lecture
Elia
envoi du 01.04.2021
Chère, Cher vous,
Déjà un mois s’est écoulé depuis la première newsletter alors voici la numéro 2. Initialement, je voulais vous parler féminisme et allaitement…mais deux imprévus sont venus frapper à ma porte. L’un est une publication d’un témoignage sur le compte Instagram assolallab et un autre est cette sortie de Marlène Schiappa évoquant la charte qui devrait guider les prêches des imams de République (juste ça, les imams de la République. Merci, mais non merci.)
La ministre déléguée à la Citoyenneté a déclaré :
« Cette charte est engageante (...) L'idée, c'est de dire comment on s'engage dans la lutte contre l'homophobie ? Est-ce que ça veut dire que dans les prêches, on considérera que deux hommes ont le droit de s'aimer, de se marier, comme deux femmes ont le droit de s'aimer et de se marier, comme le disent les lois de la République française ? C'est cela que dit cette Charte. »
Pour rappel, la laïcité impose le respect de toutes les croyances, l’égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion et que la République garantisse le libre exercice des cultes.
Je n'ai aucun problème avec l'homosexualité et le mariage pour tous. Même mieux, je vais défendre les droits des homosexuels à vivre librement dans ce pays. En revanche, j'ai un vrai problème avec une ministre qui s'immisce dans les prêches des imams.
En fait, j'ai du mal avec la volonté de légiférer avec la religion, peu importe laquelle. Je pensais que c'était l'idée en 1905, éviter la porosité entre le politique et le religieux. C’est que le premier alinéa de l’article 1er de la Constitution de 1958 prévoit
« la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances (…) ».
Une QPC* du 21 Février 2013, nous indique même « le principe de laïcité impose notamment le respect de toutes les croyances, l’égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion et que la République garantisse le libre exercice des cultes ».
Seulement, aujourd’hui on est scandalisé lorsque la République garantit le libre exercice des cultes (voir le scandale de Darmanin autour de la participation au financement d’une mosquée de Strasbourg sachant que Strasbourg est une ville bénéficiant d’un régime dérogatoire à la loi de 1905 mais c’est une autre histoire) et on retourne cette laïcité dans tous les sens afin de s’en servir pour criminaliser les musulmans en France.
Derrière cette démarche gouvernementale se cache (mal) un racisme, fruit de la colonisation mais aussi du sexisme et, en sous main, une instrumentalisation des mères.
Il y a quelques mois, j’ai lu l’article « Les féminismes, le voile et la laïcité à la française » de Hourya Bentouhami. On y apprend plusieurs choses essentielles pour comprendre l’enjeu du voile. Dans son article, elle inscrit la relation entre le voile et la France dans une optique historique qui est loin d’être anodine.
« la perception française du voile s’inscrit dans un rapport historique dense, colonial, entre l’islam comme religion « colonisée » et la République impériale. La colonisation française dans ces pays n’a pas été simplement une conquête des terres et du pouvoir local, elle a également procédé à une « expropriation identitaire » en instituant notamment l’islam comme « religion colonisée ». »
Elle rappelle très justement que durant la guerre d’Algérie, le voile cristallise des enjeux politiques notamment les cérémonies de dévoilement des femmes musulmanes en soutien à la fraternité française et à l’Algérie française. Lors de ces cérémonies, les femmes françaises membres du Mouvement de solidarité féminine (qui proposait notamment un accompagnement à la maternité) retiraient publiquement le voile à des femmes « indigènes ». Pire encore, certains soldats français procédèrent à des dévoilements forcés de femmes pour les humilier et ce geste pouvait être les prémices de viols.
Le voile est donc malgré lui devenu le symbole de la résistance. Résistance à l’occupation française, à sa vision de l’émancipation. Serait-ce pour ça qu’en France, un voile est perçu comme agressif ? Le fameux signe hostile de la non-assimilation. Le refus de l’ « intégration ». Si l’on s’arrête là, on s’aperçoit bien que le problème est bien la perception du voile, pas l’intention ou l’individu dessous. Cela démontre bien la nécessité de décoloniser le regard à l’autre.
Cependant, cette stigmatisation du musulman et de la musulmane sert bien le gouvernement pour faire diversion face à ses problématiques sexiste et raciste. Ainsi, par ses différents discours, le gouvernement entre dans une démarche d’altérisation en faisant des musulmans les apôtres de l’hétéropatriarcat et du sexisme. « C’est le musulman qui voile sa femme, signe de domination, qui est le patriarcat/sexiste // C'est l'Islam qui est homophobe, ce n’est pas moi qui ait un ministre accusé de viol qui suis sexiste. D’ailleurs, moi, je défends les femmes et prône l’égalité, regardez Marlène. Ce n'est pas moi qui suis homophobe, regardez les tweets de Darmanin » C’est d’ailleurs flagrant avec les sorties médiatiques de Marlène Schiappa.
Un des alliés étonnant de ce procédé, c’est à mon sens, le féminisme universaliste qui invalide les femmes et particulièrement les mères.
« Pour ce faire, on n’hésite pas à recourir à un supposé sens commun du féminisme, progressivement revêtu des valeurs républicaines de la nation française, soit l’égalité des sexes ; le sexisme, le machisme et, plus généralement, la domination masculine étant rejetés du côté des autres musulmans dont les femmes seraient à la fois les victimes et les complices. »
Ce féminisme dit universaliste se pose en protecteur/sauveur de la femme devant la religion chantre du patriarcat mais refuse aux femmes voilées le droit de disposer de leur corps et d’apparaître librement dans l’espace public. D’ailleurs, c’est un féminisme qui s’oppose bien souvent à la religion oubliant la nécessité pour certain.e.s de croire, le besoin de spiritualité. Car bien que la religion soit le lieu de la domination patriarcale, il ne faut pas oublier que souvent les femmes ont trouvé dans la pratique spirituelle un lieu de réconfort.
Il serait donc inconcevable de laisser aujourd’hui encore la religion en dehors du champ de réflexion féministe, de laisser le champ libre à la religion patriarcale comme il serait inconcevable de croire que la lutte se trouve dans l’abolition des croyances/ de la spiritualité. N’abandonnons pas la spiritualité qui, entre les mains de nos politiciens, sert à incriminer une partie de la population.
N’abandonnons pas devant la stigmatisation des mères car finalement, par un tour dont seuls nos politiques ont le secret, ce sont elles qui sont tenues responsables. Responsables de transmettre une culture et parfois un culte. Responsables de ne pas transmettre, aussi. Ainsi, dans le rapport Benisti ( rapport préliminaire de la commission prévention du groupe d'études parlementaitre sur la sécurité intérieure, remis à de Villepin, alors ministre de l'intérieur) on peut lire :
« Entre 1 et 3 ans : Seuls les parents, et en particulier la mère, ont un contact avec leurs enfants. Si ces derniers sont d’origine étrangère elles devront s’obliger à parler le Français dans leur foyer pour habituer les enfants à n’avoir que cette langue pour s’exprimer. Actions : 1/ Les réunions organisées par les associations de mères de familles étrangères financées par le F.A.S. peuvent inciter ces dernières dans cette direction. Si c’est dans l’intérêt de l’enfant, les mères joueront le jeu et s’y engageront. Mais si elles sentent dans certains cas des réticences de la part des pères, qui exigent souvent le parler patois du pays à la maison, elles seront dissuadées de le faire. Il faut alors engager des actions en direction du père pour l’inciter dans cette direction. »
Priver les familles de transmettre mais surtout les familles d’origine étrangères. La mère est soit victime soit complice. Si elle n’écoute pas la République, il faut qu’elle se distancie du père. C’est une distanciation identitaire qui vise essentiellement un type de famille d’origine étrangère. On a rarement vu sanctionner des familles d'origine anglaise ou allemande. Cependant, cette rupture des familles dans la transmission par souci d’assimilation n’est pas un frein à une quête spirituelle.
Par exemple, pour le niqab, grand ennemi de la France, on peut lire dans une interview d’Agnès De Feo, sociologue, menée par Nadia Henni-Moulaï que :
”Le niqab en France est un marqueur visible de piété de femmes qui n’ont pas été éduquées dans l’islam – elles viennent de milieux areligieux, voire athées et antireligieux pour les converties. L’islam a fait l’objet d’un refoulement chez les parents d’origine immigrée, qui ont abandonné la religion, souvent pour parfaire leur assimilation. La rupture de la transmission traditionnelle a créé des manifestations de retour du refoulé. Les « néo-musulmanes », qui choisissent la religion souvent en réaction à leur famille, apprennent par elles-mêmes les bases de l’islam en autodidactes.”
Mères coupables quand elles transmettent et quand elles ne le font pas. (Evidemment, la charge de la transmission incombe aux femmes dans le système qu’est le nôtre). Ainsi, plutôt que de laisser cette possibilité d’utiliser la spiritualité comme un moyen de domination ou de criminalisation, il faut encourager l’émergence des initiatives pour proposer une relecture des textes religieux. Le féminisme doit investir le domaine religieux. Repensons la spiritualité. Comme le dit bell hooks :
« Il est clair que les militantes féministes doivent continuer de dénoncer les organisations religieuses, et à s’engager dans une critique et une résistance ».
La spiritualité n’est pas un problème, croire n’est pas synonyme de soumission patriarcale. Croire, c’est résister. Peu importe le lieu de notre foi, si elle se place en Dieu, en demain ou en soi.
Douce journée,
Elia