Chère, Cher toi,
Février se termine et déjà plusieurs semaines que ce projet de newsletter m’habite. Comme s’il avait pris la place de l’Enfant née en Janvier. Cette newsletter a pour thématique plusieurs choses, une sorte de croisement, la lecture d’une part, le féminisme et la maternité d’autre part…mais d’abord, un nom.
Pourquoi Lettre de la joie ?
Lettre de la joie, c’est une référence à L’Art de la Joie de Goliarda Sapienza. Il y a des lectures qui marquent une vie, elle en fait partie. Je me souviens de ma lecture, d’écrire des citations partout, tout le temps sur des morceaux de brouillons des élèves de BTS dont je surveillais les épreuves.
Je me souviens comme en quelques phrases, j’ai eu l’impression de grandir et de m’ouvrir au monde. Il me semble que pour la féministe que je suis, il y a peu de sujet qu’elle n’a pas abordé dans ce roman. C’est inouï.
D’ailleurs, c’est avec elle que mon féminisme a vraiment pris ancrage.
Plus d’une fois je l’ai conseillé et puis à partir de ces lignes, j’ai lu les autres. Puis, je me suis arrêtée. J’ai toujours aimé écrire, j’ai toujours voulu écrire. Je rêve encore que cela soit mon métier. Pourtant, je ne me trouve aucune légitimité à le faire, aucune légitimité à écrire.
J’aurais aimé écrire comme la traduction des œuvres de Goliarda me le montre à lire. J’aimerai provoquer autant de sentiments et d’émotions et je bloque à la page 14 de mon document word. Il y a eu ce moment où lire Goliarda faisait mal à mes rêves. Ce n’est pas la page blanche mon problème, c’est mon sentiment d'imposture.
Je vous en parlais ici dans un billet de blog. Mais ce sentiment me suit partout, dans tous les domaines. De l’écriture à la maternité.
Le syndrome de l’imposteur est décrit comme la conviction de ne pas mériter sa place et de tromper les autres. On a peur que l’on nous démasque, qu’on découvre notre incompétence. On attribue à des facteurs externes la place que nous occupons.
Si ce syndrome touche aussi les hommes, ce sont surtout les femmes qui en pâtissent le plus. Il s’agit d’un phénomène genré. C’est notre éducation de « bonne élève » où il faut "performer" (business is business, tu dois manager ta vie et rentabiliser chaque minute, chaque expérience. C'est le capitalisme, bébé.) tout le temps partout mais sans faire de vague qui vient nous limiter. « La norme culturelle des genres tend à encourager les petites filles à s'occuper des autres, au détriment parfois de l'expression de leurs propres besoins, à rester tranquilles, à ne pas se bagarrer quand elles ne sont pas contentes, ce qui se traduira plus tard par une hésitation à s'affrmer, à dire non, à se cantonner à la deuxième place », explique Elisabeth Cadoche, autrice du livre Le Syndrome d'Imposture. Pourquoi les femmes manquent tant de confiance en elles? (éd.Les Arènes)
Si les devoirs en classe se font en silence et nous permettent de combiner les deux : la discrétion de notre existence et la performance, qu’en est-il dans la vie (notamment professionnelle) ?
Ce sentiment d’imposture je l’ai ressenti aussi dans ma vie de mère. A la naissance de ma première enfant, j’ai été envahie de peurs et de doutes. J’ai longtemps cru que le savoir venait de l’extérieur, d’un livre ou d’une autre personne. Je me retrouvais tiraillée entre ce que je pensais bon et ce que d'autres me disaient être bon. J’ai eu peur des jugements, peur de l’image que je renvoyais, peur qu’on me prenne ma fille car j’aurais été incompétente. La fameuse peur d’être une mauvaise mère. J’étais incapable de me laisser tranquille.
Ce qui est flagrant, c’est que la parentalité est compliquée car elle donne à voir. Elle en dit long sur nous, sur ce que nous sommes. On ne peut pas se cacher derrière le silence d’une salle d’examen. La parentalité nous installe à une place que l’on ne peut déserter. Même en claquant la porte, on reste parent. Être parent, c’est faire des choix. Ils sont visibles, ces choix. Pire encore peut-être, ils marquent la distance entre ceux qui nous ont donné leur approbation et nous. Nos parents sont les premiers à approuver ou non nos comportements, nos choix etc...devenir parent, nous-même, c'est remettre en perspective tout cela. On interroge le modèle - existant ou inexistant. C'est donc se démarquer.
Admettre que mes parents m'ont donné une éducation sexiste et assumer le fait de ne pas vouloir reproduire cela. Parent, c'est se montrer.
Quelque part entre ma maternité et l’écriture, j’ai compris l’analogie entre l’enfant et le livre que l’on met au monde.
Ecrire (créer)c’est aussi se donner à voir, prendre une place et sortir de cette zone d’invisibilité dans laquelle nous sommes éduquées à rester. C'est aussi questionner les modèles.
Ainsi, j’ai compris que j’avais abandonné mon recueil de poèmes. J’avais déserté et j’en garde un petit goût amer. Publié en 2019, je ne le mentionne que rarement et j’ai souvent tenu un discours dépréciatif à son sujet. Cette newsletter n’aurait pu jamais voir le jour et me laisser le même goût amer. Plutôt que de me fier à mon envie, mes compétences …j’ai suivi un raisonnement irrationnel. J’ai attendu un signe, puis un deuxième.
Le premier fut surement une nième rencontre avec Goliarda. En ce début d’année, la parution de Lettre Ouverte a atterri dans mes mains…et j’ai eu l’immense joie de retrouver celle que j’idéalise. Elle y parle de sa vie, elle essaie de se retrouver, de s'expliquer, de se raconter. Elle tente d'être juste, d'être elle et d'aller au bout de sa démarche.
Le second signe fut la newsletter de Les Glorieuses autour de la joie militante. Newsletter à laquelle je vous conseille de vous abonner si ce n’est pas déjà fait. Tout au long du mail, j’ai ressenti une motivation nouvelle, un optimisme et finalement du courage. (et l’envie de dévorer un nouveau livre) J’ai retrouvé au détour de cette lecture le même enthousiasme qu’à la fin de L’Art de la Joie.
Je tente alors de ne plus chercher la perfection, je peux attendre mille ans avant de vous écrire mais alors qu’on voit la médiocrité d’hommes blancs cis s’étaler partout, je me dis que la moindre des choses, si l’on veut vraiment changer le système, si l'on veut l'égalité, c’est de se lancer.
Essayer, c’est féministe. Essayer, c'est résister.
Et vous, dîtes-moi, que n’osez-vous pas faire ?
Douce journée,