Nous sommes donc en Octobre…et enfin, je me pose pour écrire cette infolettre de Septembre. La rentrée – plus encore quand on est parent – est une sorte de marathon que le premier rhume achève. Sauf qu’ici, en guise de rhume, on a eu le COVID.
Cette année, j’ai été particulièrement marquée par la course aux activités extra-scolaires. Depuis sa scolarisation, j’ai inscrit mon premier enfant à une activité voire deux.
Comme nous avons déménagé et qu’une nouvelle organisation se met en place, j’ai commencé dès le début de l’été à réfléchir à une nouvelle activité à laquelle l’inscrire tout en étant sous l’influence de « telle pratique développe/favorise tel comportement » ( taper dans google « inscrire enfant activité extrascolaire » et vous verrez l’étendue des articles à ce sujet )
Et puis, j’ai arrêté lorsque j’ai reçu un mail de la professeure de danse m’indiquant qu’il fallait s’inscrire en août, que le cours du mardi soir était complet et qu’elle pouvait inscrire mon enfant sur liste d’attente même s’il y avait déjà quelques personnes déjà inscrites qui risquent de prendre les places si vacance il y a.
Une liste d’attente pour une activité sportive ? La course me saute aux yeux. Et pas seulement la course, l’horreur aussi. Où se trouve le plaisir ? Quelle espace d’autonomie laissons-nous à nos enfants ?
Il y a évidemment le coût que représentent ces activités. Par exemple, ici, le cours hebdomadaire – hors vacances scolaires - de poterie, c’est 511 euros l’année. La danse ? Presque 400 euros. Ces activités sont vectrices d’inégalités sociales et donc contribuent à la reproduction sociale. L’injonction à faire telle activité ou telle autre n’est rien d’autre que le marqueur d’un privilège quand on en a les moyens mais qu’il est impensable de reprocher à des parents de ne pas y inscrire leur(s) enfant(s) quand le coût est aussi exorbitant. A cela s’ajoute la question du temps.
Le temps du ou des parents pour amener son enfant et le ramener. La majorité des activités (ici, du moins) ont lieu le mercredi dans la matinée ou le début d’après-midi ….cela signifie que l’un des parents ne travaille pas ce jour-là ou que quelqu’un est rémunéré pour prendre en charge les enfants ce jour et les amener à leur activité. On en revient donc à la question financière et à la carrière des parents (comprendre : la carrière des mères puisque la majorité du temps, ce sont elles qui ont un temps de travail réduit pour gérer la question du mercredi). Encore une fois, on retombe sur la question du temps : celui des parents et celui des enfants. Deux temporalités qui ne correspondent pas et qui rendent saillantes les questions de garde.
J’ai été horrifiée, lorsque j’ai réalisé qu’en cherchant – ce qui était mon cas – une activité pour « développer » notre enfant, nous ôtions le plaisir pour y nicher du résultat. Nous exigeons encore de la performance là où il devrait y avoir de l’insouciance et du plaisir et cela bien souvent de façon inconsciente.
Le parent devient manageur de son enfant, il faut donner le meilleur : réussir. Dès la toute petite enfance, on prend de plein fouet les injonctions capitalistes à la rentabilité du temps et à la performance. On façonne l’enfant, on ne le laisse pas naître au monde.
Le temps de l’ennui disparaît. Ce temps pourtant sacré de mon enfant où nous allions en exploration autour du domicile. Sauter par-dessus des fossés, pêcher des têtards, ramasser des morceaux de glace, inventer des jeux, dessiner et se chamailler, aussi. Toutes ces idées que nous avons eues, toutes ces créations, toute notre imagination partaient du même point : nous nous ennuyions et nous créions un monde.
Au-delà des conséquences sur les enfants que l’on prive d’un temps important pour se construire et devenir une personne qui sait vivre avec elle-même sans crainte, sans avoir besoin de lui dire où aller et que faire, cela m’interroge aussi sur les parents que nous sommes/devenons et le fait de se transformer en manageur. Que cherchons-nous ? Dans quoi nous inscrivons-nous ? Cela va sans dire que jamais nous ne pensons à mal lorsque nous inscrivons nos enfants à ces activités – que nous choisissons quand même pour que l’enfant s’y plaise – nous cherchons à être un « bon parent ».
Lorsqu’on a conscience des besoins financiers et de temps nécessaires, « le bon parent » prend les allures de celui qui « peut financièrement », c’est-à-dire celui issu d’une classe aisée, ce n’est pas le parent des classes populaires. Voilà, ce qu’est le bon parent : celui qui a de l’argent. Il n’est plus question de la qualité de la relation à l’enfant. C’est déjà apprendre la honte.
L’intérêt de l’enfant a bon dos lorsqu’il s’agit finalement de nous pousser à consommer des services/loisirs ou à nous soumettre à une norme qui est une norme « bourgeoise ». Le tout en coupant toujours davantage le lien à l’intérieur même de la famille et en individualisant les parcours. C’est le faire famille que nous pouvons aussi interroger sous ce prisme : quand sommes-nous ensemble ? Qu’est-ce que cela signifie pour nous ? Comment nouons-nous des liens ? Comment prenons-nous soin des uns et des autres ?
Après cette bataille sous mes paupières, je n’ai inscrit mon enfant à aucune activité. Je récupère mes deux enfants et hop : on joue ! (et même on regarde la télé).
Bonne fin de journée,
Elia