1er Décembre 2021
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Un dimanche matin, en prenant, un petit déjeuner très tardif avec des copains nous parlions du Père Noël et des enfants, de faire croire ou non les enfants, de répondre à leurs interrogations ou non. Père Noël, mensonge mesquin de parent ?
Ce mois-ci, je vais donc parler de réalité, de Père Noël, de rituel et de féminisme. Il y a plusieurs choses fondamentales dans mon attachement à Noël. La première, c’est ma foi en l’imaginaire, la seconde c’est la place du rituel et depuis que je suis mère, il y a ce que je transmets à mes enfants.
Ma grande fille a cinq ans et demi, le Père Noël c’est son truc. Elle y croit et adore cet univers. Je ne connais rien de plus grisant que de voir les yeux briller de ma fille quand arrive cette période.
Et même si je ne crois pas que le Père Noël existe, je crois fondamentalement à ce que j’explique à ma fille ( la seconde étant encore un peu petite), aux valeurs que je transmets par le biais de ce bonhomme rouge et blanc car il s’agit bien de cela : Croire ou ne pas croire.
En caressant la tête des enfants, je me promets souvent que dans ce monde fou, pour faire la révolution, il faut une foi inébranlable dans le beau.
Trouver cette foi inébranlable dans le beau, c’est s’échapper de la réalité. Je me sens souvent broyée par ce monde où la Vérité (enfin ce qui est présenté comme tel) devient toute puissante. Ces personnes qui ouvrent la bouche pour asséner des vérités qui ne sont que les leurs. Je ne supporte plus l’injonction à la vérité, au principe de réalité. Et que ce soit la vérité ou la réalité, en maternité ce sont deux armes fatales.
Noël n’y échappe pas. Positionnement idéologique bien trop souvent binaire. La vérité comprise comme « être dans le réel et faire juste», nouvelle divinité à idolâtrer (surtout chez nos politiques) est un poison. Si on s’y plie alors on fait une croix sur les utopies et ô combien le féminisme a besoin des utopies. Les mères aussi.
Les utopies sont une porte ouverte sur un monde de possibles. C’est une fiction bonheur, c’est une fiction qui a son rôle dans nos quotidiens, qui nous porte et nous fait avancer.
Dans le très intelligent podcast de Emilie Deslienne, Page Blanche, Audur Ava Olafsdottir dit cette très belle chose :
« L’écriture c’est la création du monde, un microcosme certes mais un monde à soi avec ses rêves et c’est là qu’on dirige ce monde. L’écrivain c’est quelqu’un qui organise le chaos du monde, le monde réel est imprévisible, très chaotique, il n’est pas comme on voudrait. On rêve d’un monde différent de ce qu’il est. Être écrivain c’est comme faire le ménage dans le monde. »
Et je crois à cette parole, à cette idée. Chez moi du Père Noël à la lecture, il n’y a qu’un pas. De la lecture à l’écriture, un autre. Mais surtout que ce soit de la lecture ou de l’écriture, il naît la puissance des imaginaires collectifs. La puissance du rêve, c’est vivre.
"Dans un court laps de temps, des éruptions volcaniques jaillissent et retombent. De toutes les énergies que nous respirons, mieux vaut suivre celles qui émergent des rêves. Cette saison est froide, aussi froide que mon âme."1
Cependant, recevoir l’injonction à bannir le Père Noël son traineau, les lutins et la petit souris, au motif que « c’est faux », c’est cautionner l’éradication du rêve. C’est un mensonge, c’est un boulet pour nous laisser la tête sous l’eau, nous priver de l’imagination, de nos ressources intérieures. Ce qui naît du rêve n’est pas faux, c’est réel : la joie, l’envie, la curiosité, l’émerveillement, toutes ces choses-là sont réelles. Elles ont une saveur particulière.
Evidemment, la fête capitaliste et consumériste à souhait qu’est cette fête est aussi responsable de l’éradication du rêve. Du rêve qui maintient en vie, pas du rêve de l’Iphone 13.
Le rêve et notre capacité à l’investir sont la foi en l’humanité. C'est croire et donner la possibilité de croire. Il n’y a pas que les fêtes de fin d’année pour donner à nos enfants et à nous-mêmes cet accès au rêve, je suis d’accord. Cependant, cette période est une porte directe vers le rêve. C'est un accés direct bâti lorsque j’étais enfant et que je n'ai jamais eu à refermer.
Le rêve est un accès direct à l’imagination, à notre force de survie, de transformation. C’est notre porte de sortie, l’échappatoire d’un système sclérosé et dangereux. Maintenir ouverte cette porte, c’est donner une chance de se sauver, de nous sauver.
"On condamne résolument l'imaginaire et le rêve, perçus comme des enfantillages, comme les symptômes d'un désir de fuite, d'une incapacité à "affronter" la vie". De l'avis général, la sagesse commande de s'écraser le nez contre la vitre de la réalité, et d'agir en toutes cicronstances en fonction des injonctions intimidantes qu'elle semble nous adresser."2
[…]
"si nous avons toutes les raisons de nous en remettre à elle dans ce monde fatigué, c'est que la propension à rêver relève toujours d'une pulsion vitale. Elle est toujours la manifestation d'un regain de désir. En prêtant attention à sa production imaginaire, en la mettant en forme, même si c'est pour donner naissance à une oeuvre sombre et torturée, l'écrivain fait d'une certaine manière acte de foi dans la vie. Le simple rêveur, lui, s'épargne les âffres de la création littéraire : il se contente de se réchauffer, aussi souvent qu'il en éprouve le besoin, au foyer qu'il entretient dans sa conscience. L'énergie qu'il y puise, l'apaisement qu'il y trouve lui donnent cet ancrage si particulier dans le monde."3
Evidemment, on peut ne pas laisser de place au Père Noël et son manteau capitaliste. C’est aussi une résistance à ce système. Et puis, il y a mille et une forme de magie dans l’ordinaire et c’est peut-être davantage celle-ci qu’il faudrait entretenir et faire briller.
C’est peut-être même pour cela que j’écris, pour inventer des possibles. Pour convier des mondes, des idées, des portes et des fenêtres. Pour laisser la place à une autre réalité. Laisser place à un monde où les femmes ont leur place, où les mères ont leur place. Rêver, donner à nos cœurs et nos âmes la force d'imaginer ce demain qui se construit, donner du sens, s’échapper d'un monde laid, courir dans les bois, c’est autant de rébellions.
Rébellion également le fait de s'attacher à un rituel. L’idée de rituel à date précise me semble importante. Importante pour faire société, faire unité mais aussi comme un rappel à l’ordre. Sortir du quotidien qui nous enlise et nous déprime avec sa réalité-massue. Le rituel, c’est une date qui nous dit : sort la tête de l’eau et fabrique des étoiles pour toi, pour tes enfants, pour celleux qui habitent ton coeur et ton âme. Fabrique du lien, invite et ouvre la porte de chez toi. Ouvre-toi, échappe toi.
Le rituel, c’est accepter les cycles. C’est rompre avec l’injonction à la nouveauté permanente. Le rituel est enveloppant, rassurant. C’est une source de repos. Le rituel est un paradoxe : il est périodique et nous sort pourtant du quotidien. Il revient lancinant, comme un rappel et pourtant, il est inédit.
Ces différents moments de magie et de plaisir pur sont des moments de partage, des moments où l’on fait du lien. Je l’écris souvent et je le répète dans une société individualiste, faire du lien c’est résister.
Alors, comme d’autres moments, comme des choses à inventer, le Père Noël ou la petite souris, c’est ma dope. C’est ce qui me nourrit et qui nourrit mon féminisme: créer du lien et des possibles à venir. C’est exploser le réel, fracasser les portes limitantes de la réalité pour inonder le monde de possibles et de beau. C’est mon principe d’éducation : éduquer à la rêverie.
Je vous souhaite de bonnes fêtes,
d'être entouré.e.s de personnes qui vous touchent et vous aiment
Elia
Etel Adnan, Nuit
Mona Chollat, La tyrannie de la réalité
ibid