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C’est une lettre un peu plus personnelle pour ce mois-ci. Août est toujours un mois plein d’ambivalence pour moi. C’est le mois où je suis pleinement en vacances, enfin j’ai réussi à me défaire de mes classes et mon année scolaire, je profite de lire, du soleil mais c’est aussi le mois où l’absence de ma fille ainée me pèse davantage même si son retour signifie que les vacances se terminent.
Août, c’est le mois des fins et des recommencements. C’est le mois de mon anniversaire.
Je n’ai jamais vraiment aimé mes anniversaires, je ne sais plus où j’ai perdu cette joie. Peut-être dans les peurs répétitives des annulations et des absences. Les anniversaires de fin d’été sont toujours gâché par la rentrée trop prêt et les retours de vacances repoussés.
Cette année, je m’écartes davantage de ce que l’on appelle « la jeunesse ». Je rentre dans un âge où je dois être adulte…et je me sens toujours comme une fillette à qui on demande de se taire. Peut-être que le jour où je cesserai de me sentir fillette, je serai ménopausé et on me demandera toujours de me taire.
Avant d’avancer dans la trentaine, je pensais que ce sentiment de n’être pas adulte et donc responsable, que ce sentiment d’incompétence à ma vie était « normal ». J’allais grandir, apprendre et savoir. Seulement, je n’ai pas grandi depuis quinze ans et je ne sais pas grand-chose de certain. Alors pourquoi toujours me colle à la peau cette impression d’imposture? Que je vais devenir une adulte, plus tard?
Je n’ai jamais eu peur de vieillir, j’ai toujours imaginé cet état de moi avec sérénité. Me voir avec des cheveux longs, blancs et tressés est une idée qui m’apaise. Mais entre mes vingt ans et ma chevelure blanche, combien d’années? J’en fais quoi de toutes ces heures avec moi dedans?
Enfant, je pensais que les adultes étaient celleux qui savaient toutes les choses importantes. Iels étaient les personnes droites et justes qui savaient ce qui était bien. Alors, je ne sais pas grand-chose de certain mais ça je le sais : c’est faux !
On parle des dangers de la binarité notamment sous le prisme du genre mais c’est tout le système binaire qui est à jeter. C’est partout qu’il faut l’éradiquer. Simone de Beauvoir1 écrit comment l’idéologie patriarcale a construit l’altérité - ce qui est différent - comme inférieur à une valeur absolue qui est l’homme (blanc). Les enfants à éduquer par “les adultes sachants” sont des illustrations de ce système binaire.
Parce que je suis bonne élève, j’ai bien appris ma leçon alors tant que je n’étais pas certaine, tant que je ne correspondais pas à l’idée de ce que doit être un adulte dans cette société, je me sentais risible, insignifiante voir insuffisante. C’est là où le patriarcat me rattrape à chaque fois, je place mon estime comme ma confiance en moi en dehors de moi, chez les sachants, celleux qui ont « l’air de ». Et souvent, on ne va pas se mentir, les personnes présentées comme des “sachants” sont des hommes.
Lutter contre l’inconfort créé par ce décalage entre soi, ce qu’on renvoie comme image et les attentes normatives d’une société est épuisant. Les sentiments et émotions qui en découlent, érodent et amoindrissent. On réduit au silence.
« Devenir comme il faut ».
Quel enfant ne souhaite pas devenir comme il faut ? Quel enfant n’a pas souhaité devenir cet adulte comme il faut pour faire plaisir à ses parents et ses professeurs. C’est exactement ici que je me perds et c’est ici que je travaille beaucoup l’éducation que je donne à mes enfants. Je ne souhaite pas transmettre l’idée du « devenir comme il faut » parce que mes enfants sont exactement comme il faut en étant eux-mêmes. J’essaie de leur transmettre – avec difficulté néanmoins – qu’il n’est pas nécessaire de se conformer à des attentes et des injonctions. Ce n’est pas soi qu’il faut tordre.
C’est tardivement que je me suis interroger sur ce “comme il faut” pour qui ?
Parfois, toutes ces choses intégrées reviennent et me rongent. Je baisse les bras, j’ai envie de pleurer en me disant que je mens au monde et que je suis une mauvaise personne. Pour me consoler, il n’y a qu’une chose : admettre que je suis une mauvaise personne pour le patriarcat et son maintien.
Alors voilà, longtemps, je ne me suis pas sentie adulte. Pas même après un deuxième enfant. Longtemps, je ne me suis pas sentie experte ni de mon domaine professionnel ni de ma propre vie. Longtemps, je ne me suis pas sentie experte de ce que j’écrivais. Longtemps, je me suis sentie insuffisante, pas assez pour être aimable, pour écrire, pour vivre la vie que je souhaitais.
Alors, pour cet anniversaire, c’est le cadeau que je me fais : la certitude que personne d’autre que moi ne peut être expert en ma vie et mes envies.
« Ecris la nuit, écris dans les creux des stations de métro dans le mémo de ton téléphone daté, écris dans l'urgence, il n'y a que l'urgence qui te fera taper sur ton clavier. [...] Décris les détails, et parle de toi, de toi et encore de toi. Car de cela tu es expertes et personne ne pourra jamais te dire que tu n'en sais pas assez. »2
Ce que Rebecca Chaillon écrit est l’une des choses que j’ai lue de plus vrai cette année.
Alors, je vais vieillir. Contre les attentes et les injonctions de la société dans laquelle nous évoluons, je vais vieillir avec joie, je vais laisser mon corps perdre en fermeté et gagner en année, se parer des marques du temps. Sans peur de devenir inutile ou assistée. Sans peur ni de mon corps ni de mon esprit à venir. Je ne deviendrai pas plus sage, je ne saurais peut-être pas grand-chose de certains mais je cultiverai la certitude de le faire bien, de le faire pour moi.
Je vous souhaite une bonne journée et vous laisse ces quelques vers de Rupi Kaur
Donne-moi des rides du sourire et des rides tout court
je veux des preuves des histoires drôles que nous avons partagées
graver des lignes dans mon visage comme
les racines d’un arbre qui s’enfoncent plus profondément
à chaque nouvelle année
je veux des taches brunes en souvenir
des plages où nous nous sommes allongés
je veux faire comme si je n’avais
jamais peur de laisser le monde
me prendre par la main
et me montrer de quoi il est fait
je veux quitter cet endroit en sachant
que j’ai fait avec mon corps
autre chose qu’essayer
de lui donner une apparence parfaite3
Belle journée,
Elia
Le Deuxième Sexe, Simone de Beauvoir (introduction)
Lettres aux jeunes poétesses
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