Ce mois-ci, je viens parler famille et jeter quelques réflexions. Quand on parle famille, le langage est faillible mais avant d’entrer dans le vif du sujet je souhaite vous faire part de la sortie de l’anthologie Un jeu d’enfant 1 qui vient interroger les représentations de la parentalité.
La norme est la famille cishétéronormée c’est-à-dire une famille dans laquelle on ne se sépare pas, construite autour de la figure du père qui transmet son nom. Le père celui qui sait toujours ce qui est bon, celui qui “gère”.
On a vu cette norme briller de mille feux lors des Manifs pour tous et je la constate chaque jour même sans manifestation. C’est une adresse à ma fille au restaurant “oh ça doit être chouette de manger avec papa et maman” et ma fille qui répond et justifie, c’est des “papa vient te chercher” au centre aéré par le personnel, à la danse etc … C’est aussi le cas quand on m’appelle par le nom de famille des pères de mes enfants ou qu’on suppose que leur nom de famille de mon aînée est celui de son père.
C’est toujours le cas quand accole un adjectif au mot famille comme monoparentale, homoparentale ou recomposée. Cet ajout d’adjectif, cette nécessaire précision, c’est aussi une exclusion de la “famille normale”, celle qu’on interroge pas, celle qui a le droit d’aller de soi même si 25% des familles en France sont des familles “monoparentales” et 9% des familles “recomposées”2.
Avec mes deux livrets de famille, cette violence d’une famille qui va de soi est permanente. L’administration ne considère pas que j’ai fait une famille mais que j’en ai deux. J’ai donc deux livrets de famille et deux premiers enfants parce que ce qui compte ce ne sont ni les enfants ni le nombre de mes accouchements. Ce qui compte, ce sont les pères des enfants dont j’ai accouchés.
C’est quelque chose qui me met très en colère. Administrativement, mes enfants ne sont pas une même famille : chacune est séparée de l’autre, chacune a une famille différente de l’autre. C’est tout sauf la réalité de ce que nous vivons et ça génère chez moi de grandes angoisses.
Récemment, j’ai appris le décès d’une camarade de prépa. Elle avait mon âge et un enfant. Mêlée à la tristesse, c’est l’inquiétude qui a surgi. Que faire s’il m’arrivait à moi de mourir? Qu’adviendrait-il de ma famille? Celle qui existe au quotidien dans notre chez nous, que va-t-il rester des lits superposés ?
Aujourd’hui, la norme étant ce qu’elle est, la famille s’entend toujours d’un point de vue filiation biologique.
“Queerer la famille, c’est d’abord poser un regard critique sur l’impératif de filiation biologique.”
Faire famille autrement, Gabrielle Richard3
Par exemple, lorsque nous avons cherché un professionnel pour un suivi psy pour ma fille aînée, on m’a demandé de demander au père de ma fille d’être présent au rendez-vous. Histoire d’être complet, quoi. D’être la vraie famille.
Augmenter ma charge parentale ? Rien à faire. Entendre que mon conjoint et moi soyons un couple parental ? Rien à faire.
De ces rendez-vous, je sortais pleine de morve. C’était d’une violence inouïe. On faisait croire devant des bureaux et les yeux de ma fille à une réalité qui n’avait jamais existé - le père de ma fille et moi sommes séparés depuis mon 6e mois de grossesse, et on refusait de faire exister, de donner corps à une réalité qui, elle, existait belle et bien au quotidien depuis des années.
Les différents professionnels rencontrés et ayant demandé cela me faisait comprendre que la seule structure légitime était celle dont je n’avais pas voulu, que la structure familiale construite était une erreur, illégitime. J’avais créé une famille ratée.
Encore maintenant, dans le cadre du PAI4 de ma fille à l’école, mon conjoint ne peut pas l’accompagner chez la psychologue scolaire. Motif? Ce n’est pas son parent.
Les institutions nous font toujours comprendre que notre réalité familiale n’a pas de place, est bancale.
Pas de statut reconnu/administratif/juridique auprès de ma fille aînée donc. De façon générale, pas de statut pour les “beaux-parents” qui n’ont d’ailleurs même pas un mot de vocabulaire pour les désigner, les nommer. Or, le langage permet de faire exister. On cherche sans trouver vraiment des alternatives à ce terme de « beau-père » parce que chez nous ils sonnent creux, on ne l’utilise pas. Il s’agit de trouver le mot qui dit le lien, qui unit, qui dit la familiarité et l’intimité du foyer.
Cette question de vocabulaire, c’est aussi une question d’insécurité. Un mot choisi pour nommer une réalité, il s’inscrit dans la durée. Il pérennise le lien qui lie l’enfant à la personne-parent. Un mot autre que “marâtre”5 pour les belles-mères qui investissent un rôle de co-parent (pas obligatoire ndlr).
La réalité de beaux-parents dans sa diversité doit cesser d’être invisibilisée et pouvoir bénéficier d’un statut légal lorsqu’il y a une volonté d’investir le rôle de co-parent.
Quand je lis encore aujourd’hui “ la conception d’un statut forcément uniforme du beau-parent se heurte néanmoins à la diversité des réalités des familles recomposées”6 je me demande d’où on parle ? Le statut légal - donc juridique- du beau-parent est un droit. On peut y avoir recourt comme l’inverse, il n’est pas une obligation légale. Deux personnes peuvent se marier sans que la conception d’un statut uniforme du mariage se heurte à la diversité des réalités des personnes mariées. Alors pourquoi cela bloquerait lorsqu'il s'agit des beaux-parents?
Un beau-parent n’est pas nécessairement un co-parent, je le sais bien. Chez nous, ça l’est et si la question d’un statut et d’une reconnaissance légale me taraude autant c’est aussi pour les enjeux derrières : possibilité d’hériter, conserver le lien avec l’enfant élevé par notre couple parental même si je devais décéder. C’est aussi me soulager, faire peser moins de pression sur mes épaules. Alléger donc la charge émotionnelle et la charge du “faire famille.”
Faire famille est pour moi un questionnement perpétuel dans lequel mon dernier postpartum m’a replongé avec la reconfiguration de ma famille. A ce sujet, j’ai écrit un recueil qui paraîtra le 15 Novembre dans la collection Or des Lignes chez Frison-Roche Belles-Lettres, livre déjà en précommande.
Si nous répondons à la norme de la famille lorsque nous nous promenons dans la rue, si nous bénéficions de ce privilège nous savons combien nous devons interroger nos représentations de la famille. Nous ne subissons pas les discriminations, attaques et insultes que peuvent recevoir les familles queers et cette infolettre n’a pas pour volonté de réclamer un privilège supplémentaire à la “recomposition” d’une famille dans la norme mais bien de réfléchir au poids de la norme sur nos quotidiens, réfléchir à nos familles et à l’élargissement des personnes en capacité de prendre soin de nos enfants. Reconnaître légalement un statut de co-parent, ce n’est pas enlever quelque chose aux parents “biologiques”. Si un parent biologique peut ne pas reconnaître l’enfant et donc n’investir ni le champ parental ni le champ familial, pourquoi une personne qui voudrait investir ces champs ne le pourrait pas? C’est admettre qu’un enfant peut avoir plus de deux parents, peut-être réinvestir et redéfinir le terme de parentèle ?
Belle journée,
Elia
https://www.editionsallumette.com/unjeudenfant Anthologie dans laquelle j’ai écrit aux côtés de Héloïse Simon, Marie Dosquet, Sandrine Galand, Laurie V., Claire Olirencia Deville, Alice Legendre, Danielle Ahanda, Tiphanie Manaud, Anaïs x GIGI, Fabienne Lacoude, Julie Reynié, Déborah Lambert-Perez et Maude Racicot.
Faire famille autrement, Gabrielle Richard - sortie prévue le 10 Novembre.
Projet d’accueil individualisé : il permet la mise en place d’un protocole pour les élèves atteints de troubles de la santé comme une pathologie chronique, une allergie, une intolérance alimentaire. Les enfants et adolescents atteints d'une maladie de longue durée sont aussi concernés.
Comment ne pas devenir une marâtre : Guide féministe de la famille recomposée, Fiona Schmidt dans ce livre, l’autrice revient sur l’histoire et la construction de l’image de la marâtre
La Déférlante N°7 : Réinventer la famille. Dossier très intéressant.