Hello,
Peut-être que j’aurais dû écrire sous les premiers soleils de février, les premiers jours où j’ai vu les bourgeons sortir plutôt que les jours gris qui ont suivi. La vérité, c’est que depuis le mois de décembre, les annonces gouvernementales ne cessent de m’angoisser et de faire naître un profond désespoir. Ce désespoir s’appelle Backlash.
Une tribune a été publiée par noustoutes et Médiapart au sujet du backlash anti-féministe mais je voulais me pencher davantage sur ce qui va en coûter aux parents et notamment aux mères dans un contexte d’appel au “réarmement démographique” et ce qu’il cache.
Il y a eu le discours du président de janvier qui parlait donc de réarmement démographique et de revoir le congé parental pour un congé dit “de naissance”. Ce jour-là, j’étais très en colère. Je dormais déjà très mal après les annonces de G. Attal, ministre de l’éducation nationale mais alors là, c’était au-dessus de ce que je pouvais entendre.
Depuis quelques années, j’écris et suis parfois publiée notamment en poésie mais je travaille un projet de roman autour de ce que la politique fasciste a fait au corps des femmes qui enfantent. Ce roman que je n’arrive pas à terminer prend racine dans une de mes lectures d’enfance, le court roman épistolaire Lettres à une disparue de Véronique Massenot, j’avais une dizaine d’années et j’ai été marquée à vie. A la suite de ce discours, j’ai modifié les premières lignes du projet de roman ainsi :
C’est une déflagration.
Elle s’arrête, regarde l’écran qui s’agite et enregistre les mots prononcés. Elle a dû se tromper, elle répète lentement les mots entendus. Elle les écrit et ses doigts se crispent et des larmes affluent. Des larmes pleines de rage et de l’assemblage chaotique des petits deuils des dernières années. Le sol s’étiole sous ses pieds. La chaise jaune tremble sous le poids des sanglots, des années, du silence.Elle a dû se tromper, ouvre précipitamment son ordinateur pour fouiller les réactions, les directs, les lives, les commentaires. Réarmement démographique. On parle de dystopie. On saupoudre de fiction, de lointain ce qui est déjà, ce qui a déjà été.
Elle sait que les enfants sont des armes contre, qu’on dépouille les mères, qu’on forge et qu’on fabrique des histoires pour dormir debout. Elle pense aux folles de la place de Mai, elle pense aux folles de la Place Vendôme. Elle pense à sa mère et à sa grand-mère et son cœur se fracture.1
Il y a quelques années, j’ai lu le livre de Fatima Ouassak, La puissance des mères qui est aussi le livre du Mother Book Club du 03 Mars, il y a un chapitre qu’elle consacre aux mères de la place Vendôme :
« Le début des années 1980 est marquée en France par de nombreux assassinats racistes commis en toute impunité par des voisins pour un bruit de mobylette, par des collègues pour un casier mal refermé, ou par des policiers pour encore moins que ça. Nous sommes au lendemain de la guerre d’Algérie, et la Ve République assiste avec indulgence à ces dizaines et dizaines de crimes racistes qui se banalisent dans les rues de France. […] Le 18 Octobre 1980, Lahouri Ben Mohamed, dix sept ans, est tué d’une rafale de pistolet-mitrailleur par un CRS lors d’un contrôle de police dans les quartiers nord de Marseille. Les mères de ces quartiers appellent à une manifestations qu’elles organisent en trois jours. […]
A Paris, à l’occasion de la journée internationale contre le racisme, le 21 mars 1984, quatorze familles de victimes de crimes racistes ou sécuritaires (qualifiés ainsi pour dénoncer le “sentiment d’insécurité” de plus en plus mobilisé dans les discours politiques pour justifier les meurtres) se donnent rendez-vous devant le ministère de la Justice, place Vendôme. Accompagnées par quelques centaines de personnes, qui ont participé un an plus tôt à la Marche pour l’égalité et contre le racisme, les familles demandent à rencontrer Robert Badinter, garde des Sceaux.
Parallèlement à l’annonce de réarmement démographique, il y a eu cette prise de parole du 10 décembre 2023 dans laquelle Aurore Bergé, ministre des Solidarités et des Familles, expliquait vouloir mettre en place des « travaux d’intérêt général pour les parents défaillants » en réponse aux révoltes des quartiers à la suite de la mort de Nahel. Cette prise de parole est dans la continuité des stigmatisations visant les mères célibataires. L’ancienne ministre annonçait qu’« il est frappant de constater que 30 % des émeutiers étaient des mineurs et que 60 % d’entre eux ont grandi dans des familles dites monoparentales ». Plus de 80% des familles monoparentales en France sont des familles dans lesquelles la mère assume la responsabilité des enfants. Les “parents défaillants” sont donc les mères et ce qui est visé c’est “l’absence d’un père”. On comprend alors quelle vision de la famille est mise en avant2.
Dans son livre, Fatima Ouassak relève aussi cette récurrence de mécanisme, que ce soit dans les années 1980 donc ou en 2005 avec les morts de Zyed et Bouna qui sont expliquées par la faute de leurs parents, et non de la police. Elle rappelle que les parents des quartiers populaires étaient alors décrits comme « polygames », « dépassés par les événements », « faisant trop d’enfants ». Ce n’est donc pas anodin que ces annonces et sorties se font en parallèle de la politique de G.Darmanin à Mayotte et sont un triste écho à l’essai de Françoise Vergès, Le Ventre des femmes. Alors qu’on manifestait pour le droit à l’avortement, pour le droit à la contraception, à la Réunion se déroulaient des stérilisations sans consentement, des avortements tardifs… voire des “arrachements” d’enfants comme l’histoire des Enfants de la Creuse.3 A l’époque où sous un même gouvernement, des personnes se battaient pour décider pour leur corps et choisir ou non de donner naissance, on pillait et contrôlait celui d’autres femmes. Un réarmement démographique de classe, voilà ce que souhaite notre gouvernement.
Alors qu’on voit aujourd’hui la liberté d’IVG rentrer dans la constitution et qu’on s’en réjouit, on occulte la réalité de ce qu’est l’IVG et son accès. Je vous conseille à ce sujet le court essai de Pauline Harmange dans lequel on peut lire :
Je comprends que si la France se targue comme le Danemark d’une société presque apaisée alors que les délais pour avorter sont beaucoup plus restreints qu’aux Etats-Unis, c’est qu’elle a une posture aussi hypocrite envers l’avortement qu’envers la PMA pour toustes. […] Et nombreuses sont les femmes qui, au-delà des délais légaux français, vont avorter en Angleterre ou au Pays-Bas. Encore une fois, cette solution ne peut convenir car elle laisse sur le carreau les jeunes mineures, les femmes des milieux populaires et ruraux, ou encore les femmes sans papier. Il faut imaginer que des avortements clandestins ont encore lieu en France pour ces populations délaissées, avec tous les dangers que cela peut comporter.
Il est d’ailleurs important de rappeler que si l’avortement est dépénalisé en France en 1975, il n’est toujours pas un acte médical facile d’accès et banalisé. 130 centres d’IVG ont fermé ces quinze dernières années, des dizaines sont aujourd’hui encore menacés.[…]4
Si l’interruption volontaire de grossesse fait l’objet d’une loi constitutionnelle, on a aussi pu observer que l’IVG est une liberté garantie et non pas un droit garanti comme le proposait le projet de loi initial. Cela signifie que ce qui rentre dans la constitution c’est la possibilité de faire sans obstacle, d’avoir recours ou non à une interruption volontaire de grossesse mais cela n’engage pas l’Etat à garantir sa mise en œuvre. Dernièrement, on a pu également constater cet attaque de l’IVG par la désinformation organisée par CNEWS qui associe l’IVG à des décès (meurtres?) et formule de piètres excuses.
Cela se passe dans le contexte où quelques semaines plus tôt, le 17 Janvier, le président appelait à un “réarmement démographique” et la disparition du congé parental pour laisser place à un congé de naissance. Ce congé est présenté comme COMPLEMENTAIRE aux congés maternité et paternité. Un congé qui viendrait remplacer l’actuel congé parental d’éducation. Pour lui faire une jolie promo, on parle de sa rémunération qui serait meilleure … mais on ne mentionne pas la disparition des 18 mois (si ce n’est plus en fonction de la répartition du congé parental) qui étaient accordés ultérieurement.
Ce congé de naissance dure six mois au maximum, six mois dont les congés existants, c’est-à-dire maternité (16 semaines pour les deux premiers enfants, 26 semaines au-delà) et paternité ( 28 jours) sont à déduire.
Si on part du principe qu’un mois équivaut à quatre semaines, alors il faut déduire trois mois de ces six mois si le père prend son congé paternité. De la possibilité d’avoir un congé parental jusqu’au deux ans voire trois ans de l’enfant, il ne reste plus que la possibilité d’un congé de naissance de trois mois.
Pour les familles qui accueillent un troisième enfant où au-delà, le congé maternité actuel est de 26 semaines soit plus des six mois octroyés. Serait-il réduit ? Si l’on prend en comptes que les semaines post-naissance, alors on tombe sur 18 semaines soit 4 mois et demi, si le père prend son congé paternité alors on arrive à 5 mois et demi … la possibilité serait donc de deux semaines ?...
Ce nouveau congé de naissance est donc de fait une mise en emploi plus rapide pour les parents. Où passent les 18 mois manquant si ce n’est plus ? Quelles propositions en terme de mode de garde, quel budget alloué à la petite enfance ? Quelles place en crèche ? Quelle revalorisation des métiers de la petite enfance pour pallier les carences de personnels ?
Les conséquences d’une telle modification dans le contexte actuel risquent d’être une augmentation des souffrances parentales et notamment des mères (ou perçues comme) et une sortie de l’emploi définitive pour les femmes.
Pour ce qui est des souffrances parentales, l’association Maman Blues alerte également depuis plusieurs semaines sur la disparition du dispositif “1000 jours blues” par manque de financement alors même que ce dispositif permet aux jeunes parents un soutien et une aide face aux difficultés rencontrées. Et cela même alors que le suicide reste la première cause de mortalité maternelle la première année. Une pétition est en ligne pour maintenir ce dispositif et son financement.
Par ailleurs, plusieurs articles pointent du doigt le décalage entre les exigences toujours plus élevées à l’égard des parents et notamment des mères et le monde du travail qui sont la cause de souffrances mais aussi d’une exclusion du marché du travail. On peut lire ainsi dans un article de Madame Le Figaro que
“En 2020, la part de femmes «inactives» - c'est-à-dire ni en poste, ni en recherche d'emploi – passait de 12 à presque 18 % à la naissance d'un enfant, puis à 25 % avec deux enfants dont un de moins de trois ans, et enfin, à 52,5 % avec trois enfants et plus.”
Pourquoi les femmes ? Parce que la différence salariale reste une réalité et que l’on préfère sacrifier le salaire le plus bas et que les difficultés à trouver un mode de garde est un frein à l’emploi. une Une sortie définitive de l’emploi donc pour les femmes ou une forme d’exploitation quand on voit les réformes successives notamment celle du RSA ou du chômage.
Mais également car presque 80% des emplois majoritairement occupés par des femmes aujourd’hui sont menacés par l’intelligence artificielle notamment les postes de bureau ou ceux de l’éducation et même certains postes de la santé qui relèvent de tâches répétitives, selon un récent rapport de Goldman Sachs.
Ce risque de sortie définitive de l’emploi vient questionner l’autonomie financière des femmes et avec, ce qui en découle : violences faites aux femmes, possibilités de séparation, on se rappelle les propos de Julie Graziani :
« Si on est au Smic, faut peut-être pas divorcer».
Et si, on n’a même plus le SMIC ?
A cela vient s’ajouter, les coupes budgétaires de l’Education Nationale qui correspondent à la suppression de postes et notamment la gestion des remplacements en cas d’absence. Le problème n’est pas l’absence des professeurs – qui est le taux le plus bas – mais bien la possibilité d’avoir un personnel qualifié pour les remplacements de courtes ou de longues durées. Plusieurs fois cette année, la direction de l’école de ma fille aînée a demandé aux parents de garder leurs enfants – notamment en maternelle – car il était difficile de les répartir dans les autres classes notamment à cause des effectifs déjà élevés. Quand nos écoles ne pourront plus accueillir les enfants, qui devra les garder ? Quelle gestion, quelle possibilité pour les familles ?
Et surtout, quel accès à l’instruction ? Est-ce cela le choc des savoirs ?
Alors, je le prends peut-être trop personnellement, je comprends cette succession de décision comme un immense retour en arrière sur nos conditions de
vies. Soyons prêt-e-s à ne pas se laisser faire, à ne pas être aveuglé-es par la couverture médiatique et le fémonationalisme.
Belle journée,
Elia
---------
Faire un don pour soutenir mon travail, l’achat de livres pour nourrir la réflexion
Commander un exemplaire de Colostrum : cotidianeleblog@gmail.com
Participer au Book Club : cotidianeleblog@gmail.com
Instagram : eliaamalika
Elia Malika, La cicatrisation du romarin (projet en cours d’écriture)
Ici, je vous parle de famille :
Pauline Harmange, Avortée, une histoire intime de l’IVG - Editions Daronnes